6/1971.

An Charlotte von Stein

ce 21. d'Aout.

Je me suis sauvé ce soir de la cour pour t'ecrire quelques lignes. Nous avons vu ici de choses interessantes, nous avons fait connoissance de bien de personnes, mais en revanche nous avons eu des seances fort longues a l'Opera, a la table et ce sont surtout ces dernieres qui m'ennuyent terriblement.

Ce soir on a fait entrer des Soldats revenus de l'Amerique deguisés en sauvages, tatoués et peints c'etoit un aspect tout a fait singulier. Je ne saurois dire qu'ils avoit l'air terrible et degoutant comme ils paroissoit aux personnes du beau monde, ils me faisoit plustot voir les efforts de l'espece humaine [341] pour rentrer dans la Classe des animaux. Ils n'ont aucune idée qui les eleve au dessus d'eux memes, apres avoir satisfait aux besoins les plus pressants ils regardent autour d'eux ils appercoivent les oiseaux bien peints, les quadrupedes a belle fourrure, ils se voient nuds et leur peau unie ne fait que les ennuyer. Les voila donc a imiter cette varieté dont la nature scut habiller ses enfans. Quand a leur dance et leurs manieres cela approche tres pres a celles des singes, ie vous en racconte rai tout ce que jai pu saisir.

Tu sais chere Lotte que je n'aime pas a parler des hommes dans mes lettres, tu sauras a mon retour tout ce que je pense de ceux que j'ai vu, j'ai le sentiment de ne vojager que pour toi les choses ne m'interessoit pas si je n'esperois pas de pouvoir t'en faire enfin le recit.

En attendant je puis t'annoncer que j'ai vu a la foire un beau Zebra ou ane rayé qui m'a fait un grand plaisir. Sa forme est celle d'un veritable ane, rien moins que leste et belle, mais le dessein dont il tient le nom, est charmant au point qu'il est impossible de le décrire ou de se l'immaginer.

Mecredi le 25. nous partirons d'ici, et je pourrai celebrer mon jour de naissance au Brocken. D'apres que je puis calculer je serai de retour a Weimar le 8. ou le 10. du mois prochain. Que je serois heureux de t'y trouver.

Adieu ma chere. Apresant que je suis loin de [342] toi je me chagrine de ne pas avoir fait de meilleurs arrangements pour avoir de tes lettres. C'est comme si l'air commencoit a me manquer. Adieu je ne trouve rien dans le monde qui te resemble ou qui puisse te remplacer ne fut ce que pour un moment. Mille Adieux.

Brunswic ce 22. d'Aout 84.

G.


Il me reste encore quelques moments, je reprends la plume car il ne paroit pas convenir a la richesse de mon amour de t'envoier une feuille toute blanche. Ah mon unique amie, chere confidente de touts mes sentiments que je me sens un besoin de te parler de te communiquer mes reflexions. Tu m'as isolé dans le monde je n'ai absolument rien a dire a qui que ce soit, je parle pour ne pas me taire et c'est tout.

Je ne sai si je t'ai deja dit que j'ai eté asses heureux en decouvertes au Harz, si j'avois plus de loisir, je ferois surement quelque chose pour l'histoire Naturelle. Krause a fait des Desseins charmants, il en aura fait d'autres pendant que nous sommes ici, car il est resté dans les montagnes, je suis bien curieux de voir ce qu'il a travaillé.

Les caracteres de la Nature sont grands et beaux et je pretends qu'ils sont tous lisibles. Mais les Idees mesquines conviennent plus a l'homme parcequ'il est petit luimeme et qu'il n'aime pas a comparer son existence retrecie a des etres immenses.


[343] Ce 23.

Ah ma chere quel contretemps! Le Duc a changé de plan et nous ne partirons qu'en 8 jours.

J'en serois asses content, car il y a encore toutes sortes de choses a voir ici et nous connoitrons mieux notre monde en partant, si ce n'etoit pas ces terribles six heures qu'il faut passer tous les jours a table.

Aujourdhui nous avons fait un tour forcé pour voir la galerie de Saltsdalen il y a de tres belles choses que je souhaitterois de contempler avec toi, surtout un Everdingen de la plus grande perfection, et quelques autres dont je te ferai un jour la description.

Je finis par un vers allemand qui sera placé dans le Poeme que je cheris tant, parceque j'y pourrai parler de toi, de mon amour pour toi sous mille formes sans que personne l'entende que toi seule.


Gewiss ich waere schon so ferne ferne
Soweit die Welt nur offen liegt gegangen
Bezwaengen mich nicht uebermaecht'ge Sterne
Die mein Geschik an deines angehangen
Dass ich in dir nun erst mich kennen lerne
Mein Dichten, Trachten, Hoffen und Verlangen
Allein nach dir und deinem Wesen draengt
Mein Leben nur an deinem Leben haengt.

Ce 24. d'Aout 1784.

G. [344]

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Zitationsvorschlag für dieses Objekt
TextGrid Repository (2012). Goethe: Briefe. 1784. An Charlotte von Stein. Digitale Bibliothek. TextGrid. https://hdl.handle.net/11858/00-1734-0000-0006-7A97-4