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An Cornelie Goethe

Chere Soeur

Il faut que vous aiez, vous autres filles, un certain charme secret, dont vous nous ensorcelèz quand il vous plait. Que ce charme vienne de la complaisance que nous avons pour votre sexe, ou qu'il consiste dans cet air de flatterie que vous scavez feindre quand il vous semble necessaire, cela m'est indifferant; suffit que je l'ai senti en plusieures occasions et je le sens en t'ecrivant ces lignes. J'avois pris le [36] dessein, de gronder dans cette lettre, d'une maniere à te faire peur. J'avois deux, trois, quatre raisons; justes raisons, en poche, dont une auroit suffi pour gronder terriblement; Mais tu ecris, tu demandes pardon, st! voila mes raisons qui s'envolent. Je m'assieds et au lieu d'ecrire que je suis faché, j'ecris que je t'aime, et que je te pardonne.

Ton récit du festin de noce est reussi assez bien mais pourtant, tu n'as pas sçu peindre toutes les circonstances d'une maniere si vive et si exacteque je l'avois souhaitte et que j'avois lieu de l'attendre de ton addresse. Toutefois il faut que je loue la diligence dont tu écris et la priere que je joins aux louanges scavoir que tu veuilles bien continuer tes recits, peut te faire foix de ce que ta maniere d'ecrire ne me deplait pas toutafait. A quelque autre chose. Je suis à plaindre de ce que mes prieres ne produisent point d'effet sur toi en matiere de lecture; cependant ne crains pas d'entendre alavenir des reproches de moi car je vais bannir cet article, comme inutile, de mes lettres. Mais pour cette fois il faut que je dise encore quelque chose, en reponse du trait de ta lettre, ou tu dis; que le festin et ses circonstances t'aient empechè de penser à la lecture.

En disant cela, ma soeur, tu prends un certain air, l'air de cour, qui n'ont pas droit de prétendre du pardon. Peutetre que ta conscience t'aura peint les reproches que tu merites. Mais passons cet article.

[37] Je te vais communiquer quelq' unes de mes reflexions dont je m'amuse quelque fois.

La vanité est presque toujours la maitresse du coeur des jeunes filles. Elle les gate, en leur montrant d'un jour avantageux, la fausse gloire de la parure exterieure, et d'un jour des avantageux la vraie gloire des soins pour l'esprit.

Ne sont elle pas des creatures singulieres que ces filles? Qu'on leur dise: En compagnie Mademoisselle! – En compagnie? – Oui da! – Y trouverai je plusieures de ma connaissance? – Sans doute - ! Aussi des etrangeres? – Rien est plus vraisemblable!... Da bord elle fera la mine serieuse. – Que penset elle? Ce qu'elle parlera pour divertir les autres? – Non! – Ce qu'elle dira pour etre admiree? – Ni cela non plus! – Que penset elle donc? – – Rien est plus aisè à scavoir. Regardez seulement ce qu'elle fera. Vojez vous, dabord elle s'envole vers sa garderobe! Vojez vous, comme elle parcourt des yeux ses habits? Entendez vous elle parle a soi meme? Que dit elle? – Je ne mettrai pas cette robe là, Mad. S. a la robe plus belle. Mais celle la? Non, elle est mal garnie. Celle la? Oui, ce sera la meilleure; mais il faut, que j'y change encor quelque chose. – – Attendez seulement j'usqu'a deux heures apresmidi! Elle est coiffèe, il y a encore longtemps jusqu'a cinq. Mais il faut que tout l'aprèsmidi se perde en sa parure. Regardez [38] cette centaine des boites, regardez ce qu'il en sortira. Des bouqets, des Palatins, des Barbes, des evantails, des Pierreries, et quantitè de semblables colifichets. Elle choisit, elle rejette, elle batit, elle detruit, elle joint, elle dechire. A la fin on voit sa tete gothiquement paree, d'un quolibet, que presqu'on prendroit pour un tourban. Je passe ses soins pour des autres bagatelles. Enfin elle se croit prete, parceque son miroir ne lui montre plus de fautes, a son ajustement. Elle va voir la compagnie d'un esprit si peu preparè, pour n'avoir pas meme pensè plutot au compliment d'entree qu'en entrant dans la salle de compagnie. Allors vous la verrez, joindre a ses reverances embarrassees un air et des compliments plus embarrassès encore. Vous l'entendrez dire d'un ton timide, et mal articulè: »Parceque vous l'avez commandè, je viens vous paier mes treshumbles respects«. Elle dit cela sans penser, quelle dit la plus grande sottise du monde. La compagnie s'assied. On commence a babiller; allors il y a deux extremitès où elle est en peril de tomber. Ouelle reste collèe sur sa chaise comme une statue sans parler mot; ou elle enrage les autres d'un babil sans raison. Ces deux fautes ne tirent leur origine de rien, que du peu de soin qu'elle prend pour cultiver son esprit, si bien en se preparant pour aller en compagnie, comme aussi etant seule dans son cabinet. Je developperai un peu mes pensèes la dessus. – Ce qu'elle fait. [39] n'est il pas assez? Me dirat on. Elle scait des langues elle lit, elle ecrit; peut on demander d'avantage? – Oh que oui! repondrai je. Que lui sert son scavoir, meme plus etendu encore qu'il n'est; s'il reste toujours un scavoir mort, sans attitude et sans pratique. Que lui sert sa lecture si elle ne pense en lisant, comment appliquer ce qu'elle lit; et que lui sert son ecriture; si elle ne scait joindre en ecrivant, d'un bon gout, ce qu'elle a lu a ses pensèes – Mais d'ou vient il que cela lui manque? Demandera peutetre quelq'un. Rien est plus aisè a comprendre. Elle ne se sert point des langues qu'elle scait, pour lire les livres du bon gout qu'on trouve chez les etrangers, c'est seulement un scavoir mechanique, qu'elle cherche, a augmenter sans chercher a le faire utile. Si elle lit ce sont tout au plus des livres allemands et francois. Bon! Mais pourquoi lit elle? Quels sont les livres qu'on trouve dans ses mains? – J'ose pretendre que la lecture est chez elle une façon d'agreable passetemps, qui sans produire aucun effet, s'evanouit comme les heures qu'on lui a sacrifiees. On voit cela aux livres dont elle est amoureuse. Ce sont des Histoirettes, Romans, petits traitès legerement ecrits. Elle lit pour satisfaire la curiositè et si la curiositè est mere de la lecture, ce n'est pas un trop bon presage; On la satisfait, et si elle est satisfaite, on n'est pas trop empressè, de chercher quelque nourriture, pour le coeur et pour l'esprit. N'est elle [40] pas digne d'etre grondee une telle fille, qui malgrè les dons qu'elle possede, passant ses plus beaux jours en amusements, laisse son coeur et son esprit, dans des tenebres qu'elle pourroit dissiper. Qu'en pensez vous, ma soeur? Surement il y aura des telle filles, parmi tes compagnonnes. Que dirois tu; si on te faisoit la question; comment les corriger. Je pourrois t'en dire mes sentiments; mais j'ai deja babillè trop longtemps pour ne pas penser a d'autres choses et pour ne pas chercher a finir bientot ma lettre. Parlons quelques mots de Mdlle Brevilliers. Je vois qu'elle tient parole, et je l'estime pour cela encore plus, que je ne l'estimois jusqu'ici. Tu scais elle a etè toujours de mes amies, tu scais je l'ai tant admirè pour me faire un honneur de ce qu'elle disoit: que nos sentiments se ressembloit fort. Son charactere qui s'est developpè a mes yeux, pendant notre connaissance, que j'ai trouvè aimable; ses autres bonnes qualites; les promesses qu'elle me fit, lorsque je laissois ma patrie, de t'aimer toujours, et de te faire entrer dans la grande compagnie; toutes ces circonstances m'ont empechè, de croire tes plaintes bien fondèes, dont tu reprochois sa condouite envers toi; et je me rejouis que je ne me sois pas trompé dans la bonne opinion que j'avois d'elle. Tu vois par sa presente condouite, que c'est toujours la meme Mdlle Breviller que nous admirions tant. Regarde ma soeur, si on fait le juge trop vite, on court risque [41] de faire le juste injuste. Je te prie en cette occasion de faire mes compliments, à Mdlle Brevillier, à la grande compagnie et a toute ma belle connoissance. Parceque je suis en train de parler de ton sexe, je vais dire encore quelques mots de notre chere, petite amie, que j'aime tant. Quand je forme des souhaits, que ma soeur cherchat a rendre la lecture plus utile a son coeur et a son esprit, qu'elle n'a fait j'usqu'ici; c'est aussi pour le bien de la chere Runkel que je le souhaite. Combien ne pouroit on attendre de son charmant genie, si on le cultivoit avec soin; si on arrangoit ses pensees delicates et ses sentiments nobles par les oeuvres les plus exellents de la religion, de la morale, et du bon gout. Tu me montres quelques foibles raions d'esperance, en m'ecrivant dans une de tes dernieres lettres que tu lis en compagnie avec elle les lettres de Mad. Gomez. Je te loue et ma joie seroit incomparable, si tu continuois a satisfaire a mes souhaits. Ecris moi quelque fois les raisonnemens de ma petite et les tiens sur certaines matieres, je ne manquerai pas de joindre les miens aux votres. Croyez ma chere que je vous ai fortement au coeur. C'est une si jolie creature q'une fille, que je ne puis souffrir à en vor des gatèes; ie voudrois cepourquoi les pouvoir rendre toutes bonnes. On prend apresant tant des soins pour ammeliorer les ecoles, pourquoi ne penset on pas aux ecoles de filles. Qu'en pense tu? J'ai eu la pensee, [42] de devenir maitre d'une ecole du beau sexe après le retour en ma patrie. Ce ne seroit pas si mauvais, qu'on pense, toutefois je serois plus utile a ma patrie qu'en faisant l'avocat. Mais il faudroit prendre garde de ne pas mener dans mon ecole, de si belles filles, comme ma cher Runkel en est, autrement je serois en danger de jouer, l'amour Precepteur.

En regardant la quantite des feuilles que j'ai deja rempli de mon griffonage; ie ne puis retenir un petit reproche que tu merites. Tu ecris toujours des lettres si courtes, et on voit, que, d'ecrire c'est toujours un travail pour toi. J'ai tant a faire, et jecris de si longues lettres. C'est pour me divertir que je fais cela. Fais dememe. Je te pardonnerai, si tu n'ecris pas toujours de ta propre main. Qui est ce qui t'empèche de faire ecrire tes pensees par l'ecrivain qui ecrit si joliment et si vitement. J'attends une lettre, telle que je la souhaite, grande, exacte, remplie meme des plus petites circonstances, par la voie d'Horn, a la foire prochaine. Je m'approche insensiblement au pied de ma lettre. J'ecrirois encore plus si la page n'etoit pas remplie. Adieu. Mes compliments respectueux a mes chers parens. Adieu.

Leipzig. ce 14. du Mars 1766.

Goethe. [43]

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TextGrid Repository (2012). Goethe: Briefe. 1766. An Cornelie Goethe. Digitale Bibliothek. TextGrid. https://hdl.handle.net/11858/00-1734-0000-0006-8087-4