6/1972.
An Charlotte von Stein
Je ne scaurois laisser partir le courier sans t'ecrire quelques lignes. Nous menons le train de vie comme nous l'avons commencé, cepandant je trouve que nous avons bien fait de rester plus longtems. En partant nous connoitrons un peu mieux notre monde, et peut etre on nous connoitra mieux, c'est ce que notre amour propre nous fait croire nous etre avantageux. Notre Duc a fait tres bien ses affaires, ils est allé tout doucement, et le public qui comme Vous scaves demande toujours des miracles sans jamais en faire, l'a declaré un Prince borné. Peu a peu il lui ont trouvé du bon sens, des connoissances, de l'esprit, et s'il danse encore quelques contredanses, s'il continue de faire la cour aux Dames comme il l'a fait au dernier bal ils finiront par le trouver adorable.
La grand maman surtout est enchantée de lui elle me l'a dit cent fois. Il se fait peindre pour elle, le portrait sera asses resemblant.
Si ce peindre travailloit un peu plus vite je t'aurois apporté mon portrait, mais le temps est trop court, et comme l'original t'appartient tout entier tu n'as que faire de la copie.
Krause est arrivé du Harz, il m'a apporté le dessein d'une roche granitique qui est superieurement beau. Je me rejouis deja d'avance de pouvoir te montrer toutes ces belles choses, de te communiquer [345] toutes les observations que j'ai faites sur la formation des montagnes. Que je suis heureux que tout cela t'interesse, et que je trouve en toi une chere compagne en tout ce que j'entreprends. Les idees que j'avois concues sur la formation de notre globe ont eté bien confirmees, et rectifiees, et je puis dire que j'ai vu des objets qui en confirmant mon systeme me surprenoit par leur nouveauté et par leur grandeur. Je n'ai pas asses de presomption de croire d'avoir trouvé le principe par lequel ces phenomenes existent, mais je mettrai au jour une harmonie d'effets qui laissent soupçonner une cause commune, et ce sera allors a des tetes plus fortes que la mienne de la faire connoitre de plus pres.
Krause m'est d'une grande ressource parcequ'il me fixe ces objets qui s'evanouiroit bientot de ma memoire, car ici ma tete est occupée de tout autre chose. Ce sont les hommes qui attirent mon attention, je ne voudrois pas partir d'ici sans avoir des idees justes de chacun que j'ai pu voir un peu a mon aise.
Adieu ma chere Lotte il faut finir. Je joins quelques feuilles du Journal de Paris, tu y trouveras un recit du voyage aerien de Mr. Blanchard.
Conserve moi ton amour. Adieu adieu.
Brunswic, ce 27. d'Aoust 1784.
G.
Demain sera mon jour de naissance, j'avois esperé de le celebrer au Brocken mais il n'en sera rien.
[346] Je suis sur que tu penseras a moi dans ta retraite que tu t'occuperas de ton ami, qui ne voudroit avoir existé que pour toi. Tous les momens de ma vie que j'ai passé sans te connoitre, sans posseder ton amour me paroissent perdus, je ne puis vivre et respirer que pour toi.
Adieu encore une fois.