1817, 20. October.


Mit Victor Cousin

Il [Goethe] me reçut dans une galerie ornée de bustes, où nous nous promenâmes. Sa démarche est calme et lente comme son parler; mais à. quelques gestes rares et forts qui lui échappent, on sent que l'intérieur est plus animé que l'extérieur. Sa conversation, d'abord assez froide, s'anima peu à peu; il parut ne pas trop s'y déplaire; j'ai joui quelques instants de Goethe se développant avec plaisir. Il marchait et s'arrêtait pour m'examiner ou pour se recueillir et marquer toujours plus profondément sa pensée, chercher une expression plus exacte ou donner un exemple et des détails. Le geste rare, mais pittoresque, et l'habitude générale grave et imposante. Nous restâmes ensemble à peu près une heure. Il n'a mis en avant aucun paradoxe, et il ne m'a dit que des choses neuves. Son imagination perçait de temps en temps; beaucoup d'esprit dans le détail et [288] le développement; un vrai génie dans le corps de l'idée. Ce qui me parait caractériser son esprit, c'est l'étendue.

Notre entretien commença assez mal. Je lui exposai l'état de la philosophie en France et mes projets. Ils n'étaient pas tout à fait de nature à plaire au Voltaire de l'Allemagne, à l'admirateur de Diderot, et il m'insinua doucement que la France ne s'occuperait jamais sérieusement de philosophie. Je lui répondis qu'au contraire la philosophie était dans l'essence même du génie français, témoin tant de philosophes illustres qu'a produits la France depuis Descartes jusqu'à M. Royer-Collard. Goethe m'eut tout l'air de ne connaître ni l'un ni l'autre. Il me dit alors qu'il croyait bien qu'il y aurait toujours en France des individus d'élite qui étudieraient la philosophie, mais qu'il doutait fort qu'ils pussent communiquer leur goût à un public nombreux. Il me cita l'exemple de son ami M. de Villers dont il déplora la perte. – »Monsieur,« lui répliquaije, »M. de Villers était émigré et il ne connaissait pas la France nouvelle. Moi, je suis un enfant de la révolution, je suis libéral comme tous mes camarades, et bien résolu à ne reculer devant aucune difficulté. J'ai d'ailleurs la ferme conviction que j'ai raison, et que le matérialisme et l'athéisme du XVIIIe siècle sont des erreurs funestes, incompatibles avec les sentiments et les moeurs d'un peuple [289] libre.« – Ce ton de jeune homme, qui dans ces préoccupations oublie à qui il parle, aurait irrité Voltaire: il fit sourire Goethe, et l'intéressa même, car tout ce qui avait la moindre apparence de caractère et de nouveauté, en mal ou en bien, excitait son attention. – »Eh bien.« me dit il, »puisque vous aimez la philosophie, et que vous voulez connaître la philosophie allemande, je puis vous en parler, car je l'ai vue naître et se développer.« Là-dessus il passa en revue tous les philosophes distingués qui étaient sortis d'Iéna et de Saxe-Weimar: Reinhold, Fichte, Schelling, Hegel, Herder, Schiller, Wieland, qui était aussi philosophe à sa manière. »J'ai tout vu en Allemagne, depuis la raison jusqu'au mysticisme. J'ai assisté à toutes les révolutions. Il y a quelques mois, je me suis mis a relire Kant; rien n'est si clair depuis que l'on a tiré toutes les conséquences de tous ses principes. Le système de Kant n'est pas détruit. Ce systéme, ou plutôt cette méthode, consiste à distinguer le sujet de l'objet, le moi qui juge de la chose jugée avec cette réflexion que c'est toujours moi qui juge. Ainsi les sujets ou principes du jugement étant différents, il est tout simple que les jugements le soient. La méthode de Kant est un principe d'humanité et de tolérance. – La philosophie allemande,« me dit-il encore, »c'est la manifestation des diverses qualités de l'esprit. Nous avons vu paraître tour à tour [290] la raison, l'imagination, le sentiment, l'enthousiasme.«

Il m'a beaucoup entretenu de physique. Selon lui, la physique de M. Biot, qui venait de paraître, a deux parties écrites dans deux systèmes différents, dont un esprit exercé saisit aisément l'opposition perpétuelle. Il m'a parlé avec vivacité contre le système atomistique.

Je ne puis qu'indiquer ici les points principaux de notre conversation. Il m'est impossible de donner une idée du charme de la parole de Goethe: tout est individuel, et cependant tout a la magie de l'infini: la précision et l'étendue, la netteté et la force, l'abondance et la simplicité, et une grâce indéfinissable sont dans son langage. Il finit par me subjuguer, et je l'écoutais avec délices. Il passait sans efforts d'une idée à une autre, répandant sur chacune une lumière vaste et douce qui m'éclairait et m'enchantait. Son esprit se développait devant moi avec la pureté, la facilité, l'éclat tempéré et l'énergique simplicité de celui d'Homère.

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TextGrid Repository (2012). Goethe: Gespräche. 1817. 1817, 20. October. Mit Victor Cousin. Digitale Bibliothek. TextGrid. https://hdl.handle.net/11858/00-1734-0000-0006-A301-D