a.

Napoléon fidèle à son système momentané de lenteur avait distribué les premières journées de [105] manière à ce que l'on ne trouvât jamais le moment de parler d'affaires. Ses déjeuners étaient longs: il y recevait du monde, il y causait volontiers ..... J'ai vu [Talleyrand] plusieurs de ces déjeuners durer plus de deux heures. C'est là que Napoléon faisait venir les hommes considérables et les hommes de mérite qui s'étaient rendus à Erfurt pour le voir. Tous les matins il lisait avec complaisance la liste des personnes nouvellement arrivées. Le jour où il y trouva le nom de M. Goethe, il l'envoya chercher.

»Monsieur Goethe, je suis charmé de vous voir.« – »Sire, je vois que quand Votre Majesté voyage, elle ne néglige pas de porter ses regards sur les plus petites choses.« – »Je sais que vous êtes le premier poète tragique de l'Allemagne.« – »Sire, vous faites injure à notre pays; nous croyons avoir nos grands hommes: Schiller, Lessing et Wieland doivent être connus de Votre Majesté.« – »Je vous avoue que je ne les connais guère; cependant j'ai lu la guerre de Trente ans; cela, je vous en demande pardon, ne m'a paru fournir des sujets de tragédie que pour nos boulevards.« – »Sire, je ne connais pas vos boulevards; mais je suppose que c'est là que se donnent les spectacles pour le peuple, et je suis faché de vous entendre juger si sévèrement un des plus beaux génies des temps modernes.« – »Vous habitez ordinairement Weimar; c'est le lieu [106] où les gens de lettres célèbres de l'Allemagne se réunissent?« – »Sire, ils y sont fort protégés; mais nous n'avons dans ce moment-ci à Weimar d'homme connu dans toute l'Europe que Wieland, car Müller habite Berlin.« – »Je serais bien aise de voir M. Wieland.« – »Si Votre Majesté me permet de le lui mander, je suis sûr qu'il se rendra ici immédiatement.« – »Parle-t-il le français?« – »Il le sait, et il a lui-même corrigé plusieurs traductions de ses ouvrages faites en français.« – »Pendant que vous êtes ici, il faut que vous alliez tous les soirs à nos spectacles. Cela ne vous fera pas de mal de voir représenter les bonnes tragédies françaises.« – »Sire, j'irai très volontiers, et je dois avouer à Votre Majesté que cela était mon projet; j'ai traduit, ou plutôt imité quelques pièces françaises.« – »Lesquelles?« – »Mahomet et Tancrède«. – »Je ferai demander à Rémusat si nous avons ici des acteurs pour les jouer. Je serai bien aise que vous les voyez représenter dans notre langue. Vous n'êtes pas si rigoureux que nous dans les règles du théâtre«. – »Sire, les unités chez nous ne sont pas essentielles«. – »Comment trouvez vous notre séjour ici?« – »Sire, bien brillant, et j'espère qu'il sera utile à notre pays.« – »Votre peuple est-il heureux?« – »Il espère beaucoup.« – »Monsieur Goethe, vous devriez rester ici pendant tout le voyage, et écrire l'impression que fait sur vous le grand spectacle [107] que nous vous donnons.« – »Ah! sire, il faudrait la plume de quelque écrivain de l'antiquité pour entreprendre un travail semblable.« – »Étes vous de ceux qui aiment Tacite?« – »Oui, sire, beaucoup.« – »Eh bien, pas moi; mais nous parlerons de cela une autre fois. Écrivez à M. Wieland de venir ici; j'irai lui rendre sa visite à Weimar où le duc m'a invité à aller. Je serai bien aise de voir la duchesse; c'est une femme d'un grand mérite. Le duc a été assez mal pendant quelque temps, mais il est corrigé.« – »Sire, s'il a été mal, la correction a été un peu forte; mais je ne suis juge de pareilles choses; il protège les lettres, les lettres, les sciences, et nous n'avons tous qu'à nous louer de lui.« – »Monsieur Goethe, venez ce soir à Iphigénie. C'est une bonne pièce; elle n'est cependant pas une de celles que j'aime le mieux, mais les Français l'estiment beaucoup. Vous verrez dans mon parterre un bon nombre de souverains. Connaissez-vous le prince primat?« – »Oui, sire, presque intimement; c'est un prince qui a beaucoup d'esprit, beaucoup de connaissances et beaucoup de générosité.« – »Eh bien, vous le verrez ce soir, dormir sur l'épaule du roi de Wurttemberg. Avez-vous déjà vu l'empereur de Russie?« – »Non, sire, jamais, mais j'espère lui être présenté.« – »Il parle bien votre langue; si vous faites quelque chose sur l'entrevue d'Erfurt, il faut le lui dédier.« – »Sire, ce n'est pas mon usage; lorsque [108] j'ai commencé à écrire, je me suis fait un principe de ne point faire de dédicace, afin de n'avoir jamais à m'en repentir.« – »Les grands écrivains du siècle de Louis XIV n'étaient pas comme cela.« – »C'est vrai, Sire, mais Votre Majesté n'assurerait pas qu'ils ne s'en sont jamais repentis.« – »Qu'est devenu ce mauvais sujet de Kotzebue?« – »Sire, on dit qu'il est en Sibérie et que Votre Majesté demandera sa grâce à l'empereur Alexandre.« – »Mais savez-vous que ce n'est pas mon homme?« – »Sire, il est fort malheureux et il a beaucoup de talent.« – »Adieu, Monsieur Goethe.«

Je suivis M. Goethe et l'engageai à venir dîner chez moi. En rentrant, j'écrivis cette première conversation, et pendant le dîner je m'assurai, par les différentes questions que je lui fis, que telle que je l'écris ici, elle est parfaitement exacte. En sortant de table, M. Goethe se rendit au spectacle; je mettais de l'intérêt à ce qu'il fut près du théâtre, et cela était assez difficile, parce que les têtes couronnées occupaient sur des fauteuils le premier rang; les princes héréditaires, pressés sur des chaises, remplissaient le second; et toutes les banquettes qui étaient derrière eux étaient couvertes de ministres et de princes médiatisés. Je confiai donc M. Goethe à Dazincourt, qui, sans blesser aucune convenance, trouva le moyen de le bien placer.

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TextGrid Repository (2012). Goethe: Gespräche. 1808. 1808, 30. September und folgende Tage.: Mit Napoleon Bonaparte. a.. Digitale Bibliothek. TextGrid. https://hdl.handle.net/11858/00-1734-0000-0006-A3EC-E